Comment Christiana's House est devenue La Maison Charron.
EN FACE du Musée des beaux-arts du Canada et juste à l'est du Musée canadien d'histoire à Gatineau, se trouve une belle petite maison en stuc blanc qui surplombe la rivière, dans le paisible isolement du parc Jacques-Cartier. Le secret de cette maison, peu connu, est qu'il s'agit probablement du plus ancien bâtiment de la région de la capitale nationale, datant peut-être même d'avant 1810.
On ne devinerait jamais que cette maison a fait l'objet d'une lutte acharnée de la part des historiens locaux pendant plusieurs années, mais c'est le cas.
Si vous lisez la signalisation autour de la maison, vous vous rendrez compte que c'est La Maison Charron dont l'histoire a été publiée par l'historien de la CCN, Michael Newton, en 1988. Elle raconte l'histoire de deux jeunes Canadiens, François Charron et son épouse Sophie Miville, qui sont venus vivre dans la maison en avril 1827 et qui l'ont perdu moins de deux ans plus tard.
Le nom que vous ne lirez pas sur ces panneaux, cependant, est La maison de Christiana (alias Chrissie's House, en anglais), qui est le nom que la plupart des gens reconnaîtraient s'ils demeuraient à Hull avant les années 1980. La maison de Christiana a une histoire qui n'a jamais été racontée auparavant, jusqu'à présent. Il s'agit de la triste histoire d'une jeune fille nommée Christiana - connue au nom de Chrissie par ses proches - qui, alors qu'elle grandissait dans une colonie de pionniers, a perdu ses deux parents, la laissant orpheline à 9 ans. D'une manière ou d'une autre, au fil des ans, cette histoire s'est perdue.
Bien que l'histoire de Chrissie soit assez convaincante, entre nous, je pense que le comment de cette remplacement d'histoire est au moins aussi fascinant, compliqué et horrifiant tout de même. Alors voici l'histoire complète... juste un chapitre de plus de la curieuse histoire de la capitale.
L'histoire de François Charron et Sophie Miville
FRANÇOIS CHARRON et son épouse Sophie Barbe Miville se marient le 25 mai 1822 et arrivent à Wright's Town avec leurs deux enfants en avril 1827, alors qu'il a 26 ans. Ils avaient commencé leur vie commune au milieu de la pauvreté dans la seigneurie de La-Petite-Nation, mais ils ont été attirés ici par l'espoir d'un avenir meilleur, alors que l'industrie du bois était en plein essor à Wright's Town et que la construction du canal Rideau venait de commencer.
Le couple signe un contrat avec P. Wright & Sons, pour une propriété au bord de la rivière, près du débarcadère des bateaux à vapeur (aujourd'hui, le Musée canadien d'histoire). Comme tous les travailleurs qui allaient peupler Bytown et le bas-village de Wright's Town, les Charrons n'ont pas eu d'autre choix que "d'acheter" leur propriété selon les termes de ce qui était le régime d'achat à constitut ou du Tenure System Act. Ils devaient payer une redevance pour avoir le privilège de louer un petit terrain dans le bas-village, sur lequel ils ne pouvaient que "posséder" les améliorations qu'ils apportaient. S'ils construisaient une maison, ils en étaient propriétaires, mais ils ne pouvaient jamais être propriétaires du terrain. Comme la loi ne leur accordait pas le droit de posséder le terrain, les droits qui accompagnent la propriété foncière leur étaient également refusés. On pourrait dire que c'était une extension naturelle du système féodal de la Couronne ou mieux encore, on pourrait dire que c'était à peu près le même que le régime des seigneuries qui était en vigueur dans le reste du Bas-Canada depuis près de 200 ans. N'oubliez pas ce fait, c'est important pour plus tard.
Le contrat d'achat à constitut que François Charron a signé avec P. Wright and Sons en avril 1827, prévoyait un paiement de 50 £ d'avance et 6 £ en versements trimestriels. Cependant, moins de deux ans plus tard, dans l'impossibilité d'effectuer ses paiements, François Charron a été contraint de renoncer à ses biens et à tous ses droits le 30 janvier 1829. Il a reçu un paiement de 62 livres sterling et 6 shillings, soit les 50 livres sterling qu'il avait versées l'année précédente et 12 livres sterling pour les améliorations.
Par la suite, le couple peut être retracé jusqu'au 12e rang dans le canton de Templeton (région du lac McGregor), où en 1851, François Charron achète du tabac à mâcher et son nom apparaît dans les comptes du petit commerçant William Dunning.
L'histoire de Christiana
L'HISTOIRE de Philemon Wright est sûrement l'histoire du vrai succès d'un véritable pionnier canadien, malgré qu'on parle très peu des difficultés de cette vie de pionnier. Mais, on peut apprendre beaucoup de tout ça par le vécu de ses enfants.
Le fils aîné de Philemon, Philemon Junior, est mort âgé à peine de 38 ans, lorsqu'il a été jeté de sa diligence sur une route dangereuse, lui brisant le cou. Sa fille aînée Abigail, appelée Nabby, est morte à l'âge de 7 ans. Son fils cadet Christopher est mort à 43 ans seulement, et bien que son fils Ruggles ait survécu à tous, sa longue vie a été tragiquement gâchée par la mort de six enfants.
Cependant, c'est probablement l'histoire de Mary, la deuxième fille aînée de Philemon, qui est la plus triste de toutes. La sienne est au centre de toute cette histoire, car Mary - connue de ses proches au nom de Polly - était la mère de Chrissie.
À l'hiver 1800, Polly n'avait que 9 ans lorsque son père Philemon l'a emmenée de sa maison de Woburn, Massachusetts, dans la vallée de l'Outaouais, en traîneau sur des rivières gelées. La famille a dormi à la belle étoile, blottie l'une contre l'autre - la mère Abigail et les cinq frères et sœurs de Polly - pendant plus d'un mois. À leur arrivée, les hommes construisirent rapidement la petite cabane à rondins que la famille baptisa Le Wigwam, et sa vie commença dans le village de Wright.
En 1806, à l'âge de 16 ans, Polly a épousé Ephraim Chamberlin, 27 ans, qui avait été engagé quatre ans plus tôt, avec son frère Edmund, pour exploiter le premier moulin construit dans le village. Le premier enfant de Polly et d'Ephraim est arrivé la même année que leur mariage, et ils l'ont appelée Abigail, du nom de sa mère et de sa sœur aînée décédée.
Dans des lettres patentes signées le 11 novembre 1809, Polly est inscrite comme propriétaire de 200 acres dans le canton de Templeton, au Bas-Canada ; il est inhabituel à cette époque qu'une femme soit inscrite comme propriétaire foncier et non son mari, mais la même chose est faite dans le testament de Philemon pour une autre de ses filles.
Deux autres filles sont arrivées en 1812 et en 1816. Il s'agit de Christiana - Chrissie, en abrégé - et de Mary. La petite Mary grandit sans jamais connaître son père, car quelques mois avant sa naissance, Ephraim meurt à l'âge de 36 ans seulement. Polly était veuve à 25 ans, avec trois très jeunes filles à élever.
Comme d'habitude, dans une colonie de pionniers, elle ne tarda pas à trouver - ou à être trouvée - un nouveau mari. Il s'agissait de James Finlayson Taylor, 23 ans, l'homme qui allait devenir le fidèle comptable de l'entreprise familiale Wright. Ils se marient le 27 mars 1819 et ont un fils, Robert Patinson Taylor, l'année suivante.
Leur nouvelle famille recomposée n'aura cependant que très peu de temps pour se rapprocher, car Polly sera bientôt frappée par la tuberculose. Elle fut malade à mort pendant un an et succomba aux ravages de cette maladie le 11 mars 1821, laissant le jeune James avec son petit garçon et les trois filles - de 15, 9 et 5 ans - qui n'étaient pas les siennes.
Dans les deux ans qui suivirent, James, à 25 ans, épousa Nancy Anne Olmstead, alors âgée de 20 ans, la soeur de Sally Olmstead Wright, veuve de Philemon Wright Junior qui lui-même ait décédé seulement 8 mois après sa soeur Polly.
Le recensement de 1825 montre que James et Nancy vivent dans une maison avec un enfant, alors que la maison de la belle-sœur Sally compte 12 personnes qui y vivent, mais Sally n'a que huit enfants à elle. Les trois enfants supplémentaires sont probablement Abigail, Chrissie et Mary Chamberlin.
Ces trois jeunes héritières d'Ephraim & Polly Chamberlin ont hérité de toutes les terres que leurs parents possédaient, et une grande partie a été détenue en fiducie pour elles par P. Wright & Sons jusqu'à ce qu'elles soient assez âgées pour les gérer seules. C'est ainsi que les Charron viennent à louer la maison de P. Wright & Sons, en 1827.
Dans un jugement de 1845 du tribunal du Queens Bench sur la division des biens entre Ruggles Wright et les héritiers de Tiberius Wright, les limites de la propriété sont définies et le lot que cette maison occupe est clairement défini comme étant sur la propriété de Christiana Chamberlin. Ainsi, la maison Chamberlin a fini par appartenir à Chrissie, et c'est ainsi qu'elle a été appelée la maison de Christiana.
Alors comment cela a-t-il pu finir si mal ?
LORSQUE Michael Newton a effacé l'histoire de la maison de Chrissie dans un article commandé pour la CCN en 1987, cela n'a pas été fait par malveillance. Newton a simplement manqué certains faits, ce qui l'a conduit à faire des suppositions erronées et l'a amené à considérer Philemon Wright d'un œil critique.
En découvrant la triste histoire des Charron, Newton a mis l'accent sur Philemon Wright - et le verdict de Newton a été sévère. Le titre de son article était La Maison Charron : Symbole d'une vision contrariée ... signifiant la vision de Philemon. Au cours des trente dernières années, à la suite de cela, d'autres - pour des raisons qui leur sont propres - ont joyeusement ajouté au tableau que Newton a peint et ils ont fait de Wright un véritable méchant yankee.
Alors, quelles erreurs, exactement, Newton a-t-il commises ? Deux très grosses, et le résultat a non seulement effacé l'histoire de la maison, mais elles allaient changer la perception d'autres historiens envers l'ensemble de la colonie. Voici ce qu'il a fait de mal :
- Premièrement, Newton a dû supposer que la maison avait toujours été située sur le lot 1 du rang 3 dans le canton de Hull, mais bien qu'elle y soit aujourd'hui, elle ne l'était pas à l'origine. Si vous regardez le bord est de cette carte de 1801, ici, vous pouvez voir que ce qui est aujourd'hui le parc Jacques-Cartier à Hull, était en fait sur un lot qui fait partie de la grande section qu'est le canton de Templeton. Le parc occupe aujourd'hui ce qui était le lot 28 dans le Long Point Range de Templeton, et il est clairement identifié comme appartenant aux héritiers de E. Chamberlin. L'historien, le Dr Bruce S. Elliott, le confirme avec cette carte tirée de son article The Famous Township of Hull.
- Ensuite, en faisant ses recherches
sur l'histoire écrite de la maison, Newton était certainement tombé sur ce qui avait été écrit par Patrick M.O. Evans dans sa généalogie de la famille Wright, commandée par la CCN. Evans a écrit que la maison avait appartenu à la fille de Philemon, Christiana, mais ce n'était pas exact. (Pour sa défense, Evans avait clairement écrit qu'il s'agissait de connaissances de seconde main). Pour être clair, la plus jeune fille de Philemon s'appelait effectivement Christiana mais elle n'a jamais été propriétaire de ce lot. Newton n'a pas dû aller plus loin pour découvrir que la maison portait le nom de Chrissie, qui était en fait la petite-fille de Philemon, Christiana Wright Chamberlin.
Une fois que Newton a supposé que personne du nom de Christiana n'avait jamais possédé la propriété, ses recherches ont permis de découvrir l'histoire des Charron, qu'il a transformée en un récit sur la façon dont les "échecs commerciaux" de Philemon ont causé la misère d'un pauvre couple franco-canadien.
C'était une histoire trop délicieuse pour que certains puissent y résister : La pauvre famille canadienne chassée de sa maison par un riche, avare et archétype anglais - un Yankee, rien de moins ! Cette histoire a été racontée encore et encore, répétée comme si c'était Philemon Wright qui avait inventé le régime d'achat à constitut, alors qu'exactement la même chose se passait dans le village du colonel By... et se produisait dans tout le Bas-Canada par le biais du régime des seigneuries ! (Vous vous en rappelez du petit fait au début du récit ?)
De plus, pour certains, l'histoire a créé un récit qui a fermement établi une présence canadienne-française dans les premiers temps de la colonisation de Hull ; un récit, comme certains l'ont compris, que les Wrights ont essayé en vain d'écraser.
Il n'a jamais dû venir à l'esprit de Newton ou des autres personnes qui ont suivi l'histoire, que donner à une maison le nom des occupants qui n'ont pas payé le loyer ne serait pas un héritage durable.
Dans son article, bien que Michael Newton admette qu'on ne sache pas exactement quand et pour qui la maison de pierre a été construite sur la propriété, il a établi que les Charrons l'occupaient. Il écrit :
"La construction de la maison débuta probablement en mai 1827. Le premier mai, François acheta 472 pieds de planches à la scierie Wright et le trois mai, il versa aux Wright un paiement comptant pour l'utilisation d'un chariot en vue de transporter des dosses au site et peut-être les pierres pour les murs. Les dosses auraient servi à faire dès bardeaux pour le toit. Le reste du compte fut transféré à un registre qui n'est pas encore disponible; nous ne connaissons donc de l'avancement de la construction que ces dates et ces écritures." (soulignement ajouté)
Mais il y a aussi pas mal de problèmes ici. L'utilisation de "probablement" et "peut-être" vous indique qu'il a peu de faits sur la construction d'une maison par Charron. De plus, Newton n'a apparemment pas calculé le nombre de planches qu'il y a dans 472 pieds de planches, ce qui équivaut à 59 pièces de 2 x 6. S'il l'avait fait, il aurait peut-être réalisé que ce n'était pas suffisant pour construire une maison. Il était donc probable qu'une maison se trouvait déjà sur le terrain et que ce que Charron a construit était exactement ce dont chaque maison de cette époque avait besoin : une bécosse !
Et c'est vrai, nous ne sommes pas certains qu'il y avait une maison sur le terrain avant que Charron ne la loue, mais le Rasoir d'Occam (s'il existe deux explications à un événement, celle qui nécessite le moins de spéculation est généralement la meilleure) nous dit :
Que les 12 £ que Charron a payés pour les améliorations lorsqu'il laisse la maison n'auraient jamais suffi pour compenser une maison en pierre. Il a toujours été très douteux que ce pauvre couple ait les moyens de la construire et encore plus douteux que s'ils l'avaient fait, ils l'auraient laissée après y avoir vécu moins de deux ans.
Que la seule hypothèse raisonnable que l'on puisse faire au sujet de ce nom "maison de Christiana", serait que cette maison portait ce nom pendant des générations parce qu'elle était la maison de la famille Chamberlin.
Peut-on donc affirmer avec certitude que les Chamberlin ont construit la maison en 1810 ? Non, nous ne le pouvons pas. C'est parce qu'avant qu'ils n'en soient propriétaires, la propriété a appartenu pendant six ans à un autre homme dont nous ne savons rien, Asa Townsend, et en effet, c'est peut-être aussi lui qui l'a construite.
Comment se termine cette histoire
LA première chose à signaler est que toutes ces informations ont été mises entre les mains des propriétaires actuels de la propriété, la CCN. Lorsque cela a été fait, il a été clairement indiqué que les deux histoires, celle des Charron et celle de Christiana, devaient rester attachées à la maison.
Ce sont deux histoires fascinantes qui illustrent la lutte, les tragédies, la maladie et les échecs que les familles pionnières ont souvent dû endurer. Il est à espérer que le fait d'attacher les deux histoires à la maison puisse enfin mettre fin à une histoire qui n'a servi qu'à exagérer et à perpétuer les mythes sur la fracture culturelle et celle de ce qu'on a appelé la vision contrariée de Philemon Wright.
Et oui, un dernier mot au sujet du moment quand les Canadiens français ont pris pied dans cette région : il y a une bien meilleure histoire que celle des Charron.
Les premiers Canadiens de la colonie sont en fait arrivés beaucoup plus tôt, en 1806. Ce jeune couple était dirigé par un autre François, François Lozeau. Lui et sa femme Marie-Louise sont arrivés avec leurs six enfants - François, Anne, Joseph, Louis-Baptiste, Linette et Henriette - en achetant franche et quitte à Philemon Wright un terrain de 100 acres dans le canton de Templeton. Ils s'installent dans un secteur qui, au début, s'appelait Waterloo Village par les Wright, mais qui deviendra plus tard Pointe-à-Gatineau (Pointe-Gatineau, aujourd'hui), après que beaucoup d'autres s'y sont installés. Comme la plupart des autres premiers colons, Lozeau était un fermier et, au fur et à mesure qu'il a prospéré, François a acheté plusieurs centaines d'acres au fil du temps.
C'est une histoire qui a rarement été racontée, mais qui mérite d'être célébrée.
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